Hervé Rebillon : Vous êtes vice-président de France Hydrogène, association qui fédère les principaux acteurs de la filière hydrogène. Les membres et leurs profils sont de plus en plus nombreux et diversifiés aujourd’hui ?
Jean-Michel Amaré : France Hydrogène, c'est aujourd’hui 400 membres, parmi lesquels 300 sont des industriels, dont une centaine de grands groupes (énergéticiens, constructeurs, équipementiers…). Nous avons également un tissu de petites et moyennes entreprises extrêmement fourni, avec plus de 170 membres, qui représentent le cœur de la filière. On y retrouve des fabricants d'électrolyseurs, de piles à combustible, de stations hydrogène et de composants… en bref, tous ceux qui permettent de construire les équipements complets nécessaire à la filière l’hydrogène. Au-delà de ce tissu industriel, nous nous appuyons également sur tout l’écosystème de la recherche et de la formation (écoles, universités…) et mobilisons aussi les territoires et institutions : régions, communauté de commune, syndicats d’énergies ou de transports. C’est là notre spécificité : avoir une filière intégrée regroupant tous les acteurs et tous les moyens de la chaîne de valeur, ce qui nous permet aujourd’hui d’accompagner le déploiement de la filière hydrogène.
A lire également: SOLUTRANS OnAIR #30 Mobilité électrique : quels freins et leviers pour la filière VI & VUL ? (avec Clément Molizon – AVERE-France)
Hervé Rebillon : L’offre en camion hydrogène est aujourd’hui relativement pauvre, voire quasi-inexistante, si l’on exclut Hyundai et les solutions de rétrofit. En revanche, les offres pour les VUL et les utilitaires sont plus nombreuses, et on peut parler d’un réel marché et européen. Qu’en pensez-vous ?
Jean-Michel Amaré : En effet, l'offre camion est limitée. Cependant, il est important de noter que ces camions hydrogène existent. Vous citiez d’ailleurs Hyundai qui, en Suisse, fait circuler 48 camions hydrogène (ndlr : 200 en Europe) : en 3 ans, ces véhicules ont parcouru près de 10 millions de kilomètres ! Il y donc une très forte expérience et un retour concernant la fiabilité de ces véhicules. En France, l’offre est plus limitée avec seulement 5 camions mis sur la route actuellement, notamment par le transporteur BERT&YOU et rétrofité par Hyliko ou d’autres constructeurs. Cette offre va principalement s'adresser aux transporteurs régionaux, nationaux ou internationaux, à partir du moment où leurs véhicules effectuent plus 80000 km par an. C’est à partir de cette distance que l’hydrogène amène toute sa puissance et son bénéfice. Dans les prochains mois et années, ce sont quelques 150 camions hydrogène qui devraient être déployer dans l’hexagone.
Côté véhicules utilitaires légers, en effet, l’offre est plus fournie. Nous disposons de plus de recul, notamment car nous bénéficions d’un champion français en la matière : Stellantis. Si ces nouveaux véhicules utilitaires hydrogène sont intéressants, c’est qu’ils viennent en complément de l’offre existante, en particulier des véhicules à batterie, et notamment sur des usages intensifs. Ces usages intensifs ne sont pas majoritaires et ne représentent que près d’1/4 des VUL en marché. Ils sont cependant responsables de ¾ des émissions de CO2 et c’est en cela que l’hydrogène vient apporter une réponse intéressante à la limite des batteries. En plus de cela, ces véhicules utilisent une technologie de pile à combustible elle-même développée par un autre champion français, Symbio.
Pour conclure sur ce sujet, il est intéressant de noter qu’il y a en ce moment même un appel à projets qui a été lancé par le gouvernement, piloté par l'ADEME, pour faciliter le déploiement de VUL hydrogène. Ce sont près de 500 véhicules qui vont être financés, dans le but de venir gommer le delta de prix qui existe aujourd'hui par rapport aux véhicules à batterie. Cela représente environ 30 000 € par véhicule accompagné. Cet appel à projets devrait se conclure au premier semestre et on devrait assister à des déploiements dès la fin de l’année.
Hervé Rebillon : A contrario, on voit que les solutions de recharge hydrogène prolifèrent de plus en plus. N’est-ce-pas mettre la charrue avant les bœufs ?
Jean-Michel Amaré : L'approche française a été plutôt pragmatique sur le sujet ! Ce déploiement a été réalisé en mode écosystème. C'est-à-dire que nous avons ciblé des usagers qui avaient la volonté de passer à l’hydrogène afin de tester et de déployer ces véhicules. A partir du moment où il y avait un pool d'usagers suffisant, l'investissement de nos infrastructures en termes de production de distribution de l’hydrogène était réalisé de manière simultanée. Cela nous a amené à déployer environ 80 points de recharge en France, dont 50 sont liés à la mobilité routière. Les zones de déploiement sont ciblées : l'Ile-de-France, la région Auvergne Rhône-Alpes, la Normandie, l'Occitanie, la Bourgogne Franche-Comté… Ce sont des régions pionnières mais qui répondent à une logique d’écosystème. Ce déploiement va continuer, avec notamment un accompagnement lié à la réglementation AFIR (Alternative Fuel and Infrastructure Regulation) qui a pour but de déployer, tous les 200 km, des points de recharge sur les grands axes autoroutiers ainsi que sur tous les nœuds urbains afin d’accélérer encore le maillage du territoire.
Hervé Rebillon : Vous évoquiez précédemment le sujet des aides et des dispositifs fiscaux afin de développer la filière hydrogène. Ces derniers sont encore pauvres en France mais s’accélèrent : dès 2026, la TIRUERT cédera sa place à un nouveau dispositif qui est l’IRICC (Incitation à la Réduction de l'Intensité Carbone des Carburants). Cela permettra-t-il d’avoir un prix de l’hydrogène moins élevé qu’aujourd’hui ?
Jean-Michel Amarre : Oui, c'est l’une des actions phare qui est attendue par la filière et par tous les développeurs de réseau pour venir abaisser le prix à la pompe pour tous les usagers. Il faut savoir que ce dispositif ne pèse pas sur les finances de l'État, qui sont très contraintes aujourd'hui. Il est extrêmement important que ce dispositif soit mis en œuvre rapidement, car il représente en quelques sorte un certificat permettant la transition de carburants fossiles vers des énergies décarbonées, dont l’hydrogène fait partie.
Ce dispositif a été annoncé dans le cadre de la stratégie nationale hydrogène. Il faisait également partie des demandes du plan mobilité de France Hydrogène. La cible que nous attendons au sein de la filière est d'être à une réduction autour de 4,70 € par kilo d'hydrogène, ce qui permettrait de réduire de près d’1/3 le prix à la pompe. Cela permettrait de rendre le carburant hydrogène très compétitif pour les usagers. Il est nécessaire que les derniers efforts soient faits pour que l’IRICC soit traduit à la bonne hauteur et surtout que le déploiement soit extrêmement rapide, idéalement dès janvier 2026. Cela permettrait aux développeurs de réseau de continuer leurs déploiements et, in fine, de faire en sorte que les usagers basculent à l’hydrogène encore plus rapidement.
Sur un sujet similaire : « Hydrogène : rupture ou continuité pour le monde du transport routier ? »
Hervé Rebillon : Beaucoup d'experts estiment que l’hydrogène n’est adapté qu’à un seul mode de transport, le véhicule lourd (bus, camion…), mais pas vraiment à l’automobile. Qu’en pensez-vous ?
Jean-Michel Amaré : Quand on parle de véhicules lourds, il ne faut pas oublier les autocars qui sont également de très bons candidats car ils circulent sur de très longues distances, a des vitesses élevées et avec un fort besoin en autonomie et en disponibilité.
Néanmoins, lorsque j’évoquais les véhicules utilitaires, je vous parlais d’usages intensifs, et c’est en cela que réside la réponse. La disponibilité d'un véhicule n'est pas liée à sa catégorie. Prenez l'exemple d'un taxi : si les sociétés de taxi hydrogène se développent c’est tout simplement car le modèle économique repose sur le fait que la société possède le véhicule et alloue un ou deux chauffeurs sur ces taxis pour qu’ils tournent le plus possible durant la journée. En d’autres termes, les taxis ont besoin d’être disponibles en permanence et il n’est pas question ici de véhicule lourd ou de véhicule léger. Même constat pour les véhicules d’urgences, les VUL pour le transport de personnes en situation de handicap, du transport de marchandises… Je ne l’ai pas précisé plus tôt mais, au-delà de 200 km par jour ou lorsque l’on transporte une charge de plus d’une tonne, que l’on évolue dans des géographies à fort dénivelé ou nécessitant des traitements thermiques de la marchandise… on a besoin de plus d’énergie mais cette dernière ne peut pas être amené par la batterie.
Il faut raisonner en typologie d'usage, et de ce fait, si l'usage est intensif alors l’hydrogène doit s’imposer.
L’hydrogène sera au cœur des débats de SOLUTRANS 2025 ! Ne manquez pas la grande conférence dédiée au sujet le mercredi 19 novembre de 9H30 à 11H00. Les experts de France Hydrogène seront également présents sur le « Village Hydrogène » lors de cette nouvelle édition de SOLUTRANS.